Galerie contemporaine

double trame

Alisa Arsenault, Mandy Malazdrewich, Rosemarie Péloquin, Tara K. Wells

Commissaire: Lou-Anne Bourdeau
du 1 juin
au 1 juillet, 2023

Le mot trame a un sens double: c’est à la fois l’ensemble de fils tendu sur une métier à tisser, mais c’est aussi le fond sur lequel les péripéties d’un récit se détachent. double trame se tisse du croisement entre ces deux sens et sur la valeur que nous accordons comme individus et comme société à cette matière qui nous enveloppe au quotidien, mais dont les procédés nous sont souvent opaques.

-Lou-Anne Bourdeau, commissaire

 

Pouvez-vous expliquer la différence entre le tricot et le tissage?

De quels matériaux sont faits les vêtements que vous portez présentement?

Quels sont les produits qui leur donnent leurs couleurs?

Qui les a faits?

Combien de fois les porterez-vous?

Qu’allez-vous en faire une fois qu’ils seront abîmés, qu’ils ne vous feront plus

 ou qu’ils seront simplement passés mode? 

 

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Le textile nous enveloppe depuis notre naissance et jusqu’à notre mort. Si vous lisez ce texte en galerie, vous portez sans doute quelques vêtements - sinon, préparez-vous à vous faire escorter dehors bientôt. Cependant, peu d’entre nous sont tout à fait conscient.e.s de l’empreinte que ces vêtements ont sur une échelle globale. Au Canada, c’est environ 1 415 250 000 kgs de déchets textiles produits annuellement pour une moyenne de 37 kgs de vêtements par citoyen.ne. Toujours au Canada, les textiles représentent 7 % de tout le plastique envoyé dans les sites d’enfouissement. Ils constituent ainsi, en volume, la troisième catégorie de déchets plastiques après les emballages et l’industrie automobile. Selon des estimations conservatrices, le géant de l’ultra-fast fashion, Shein, présenterait environ 2 000 nouveaux modèles…quotidiennement.  Ces chiffres ne sont que quelques statistiques dans une mer de faits accablants. Des impacts de la monoculture à l’exploitation des enfants en passant par les liens entre l’estime de soi et les diktats de la mode, les sphères dans lesquelles la notion de textile se déploie sont nombreuses. Malgré une réactualisation incessante par la mode et les tendances, le textile nous semble distant, opaque - autant comme domaine que comme économie. Pourtant, il n’y a qu’un siècle, peut-être moins, le tricot, le tissage et toutes les techniques entre les deux, étaient des savoirs communs…

 

Je considère l’expression textile des quatres artistes de cette exposition non pas comme de l’artisanat, mais comme de l’anarchisanat. Alisa Arsenault (NB), Mady Malazdrewich (MB), Rosemarie Péloquin (MB) et Tara K. Wells (NB) remettent en cause chacune à leur manière nos perceptions et nos habitudes pour ouvrir un questionnement sur la place du textile dans nos vies. L’artisanat, compris comme une intelligence de la main ou comme métier d’art, se comprend aisément; l’anarchie peut-être moins. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’anarchie ne signifie pas le désordre social et l’absence absolue de règles communes - ce qui devrait plutôt être nommée anomie -, mais plutôt une conception de démocratie directe sans prise de pouvoir vertical. C’est la disparition de l’économie d’exploitation et de la notion du 1% pour l’émergence d’un partage du pouvoir et des biens à l’ensemble, un ordre sans le pouvoir, où l’humain ne peut plus exploiter l’humain pour son profit personnel. Confiance, autonomie et responsabilité individuelle - la liberté des un.e.s s’arrête où celle des autres commence - font partie des valeurs au cœur de la pensée anarchique. Si plusieurs courants anarchistes coexistent, notons que la lutte des classes, la lutte féministe et l’écologie font partie de ces courants, d’autres éléments indissociables de la réflexion qui se tisse entre le textile et son économie. 

 

Dans la récupération des chutes de tissus issues de son travail de courtepointe, les Stacks de Tara K. Wells évoquent l’accumulation et la sédimentation, mais également l'impermanence et la potentialité présente dans tout matériau. Par son geste de récupération, elle redonne de la valeur à des bouts de tissus qui pourraient être considérés comme inutilisables: chaque chute de tissus est retaillée puis empilée selon un ordre bien précis pour former ces stratifications, rappelant le paysage. Le temps et le soin offert à chaque bout de tissu - qui pourrait d’ailleurs être récupéré pour faire partie d’une future courtepointe à tout moment - nous interroge sur notre propre rapport à la consommation et à ce qui est considéré comme un “déchet” versus ce qui est un matériau qui peut avoir une seconde (puis une troisième et une quatrième…) vie. 

 

L’approche de Mandy Malazdrewich s’intéresse également au cycle dans la mesure où les végétaux qui l’entourent dans son jardin et son voisinage - qui nous entourent sur les territoires visés par le Traité 1 - lui servent de matière première dans la création d’impressions végétales telles que celles dans Intus foris, que l’on peut traduire comme à l’intérieur et au-delà. Lié au territoire et au cycle des saisons, son travail propose l’autogestion des ressources qui nous sont accordées sur la terre qui nous accueille, une connaissance qui mène à revenir à une connaissance intime des matériaux et des modes de productions, à comprendre que ce que nous portons et ce que ce nous consommons a une empreinte écologique, sociale et politique importante. Par son travail d’éco-impression, Malazdrewich nous invite à poser un regard neuf sur les ressources qui sont tout autour de nous sans que nous le réalisions. 

 

Le concept de cycle s’applique également aux mains feutrées de Rosemarie Péloquin en traitant de la notion de générations et de traditions.  Entre l’enfance et la vieillesse, que signifie la passation des savoirs?  À la fois si distants et si proches, ces deux temporalités se côtoient dans les gestuelles habillement modelées par Péloquin. Des jeux de ficelles – d’un temps d’avant les écrans – au tricot et la tapisserie qui, malgré une renaissance récente, restent empreints d’un aura d’antan, ce sont des savoirs qui se sont passés d’une génération à une autre, mais qui tendent de plus en plus à disparaître. Mises en scène dans un espace domestique, ces mains mettent en lumière la distance qui se creuse entre la connaissance des techniques faisant autrefois partie d’un savoir domestique général transmis entre les générations, mais qui aujourd’hui relève davantage du métier d’arts ou de l'artisanat de loisir que d’un savoir essentiel.

 

Memorandum d’Alisa Arsenault résonne avec le travail de Péloquin dans la mesure où le temps et l’héritage sont également au cœur de son propos. Le textile, plus particulièrement encore le vêtement, a cette particularité d’être intimement personnel: la peau est en contact direct, l’usure prend la forme du corps qui s’enveloppe. Le vêtement – et par extension le souvenir – est activé par la mémoire des sens, tout particulièrement du toucher et de l’odorat. Parallèlement, dans la série Laine, elle explore la notion d’auto-représentation par l’ambiguïté, le déguisement et le dévoilement. Arsenault y traite de la distance et de la fracture entre la vision de soi et le soi réel. L’image minimaliste amplifiée par l’excentricité des coiffes autant que par la lenteur des mouvements nous mène à la réalisation que le textile ne demeure qu’une image en tout point fabriquée dont on se vêt.  Pour paraphraser Céline Dion, “on ne change pas, on met juste les costumes d’autres sur soi”.

 

Le soin que ces artistes portent à leurs matériaux, à la terre qui les fournit, à l’héritage qui s’y transmet et aux sensations de nos corps qui portent ces textiles, démontre une humilité et une réflexion sans cesse en mouvement, mais aussi une intelligence fine et joyeuse, joueuse même. Rien n’y est pessimiste ou anxiogène; c’est avant tout une invitation, un appel à l’action. Tout geste compte: que ce soit par un questionnement sur la durée de vie de vos vêtements et la manière de les entretenir; à repriser un bas plutôt que de le jeter. Ce que je souhaite, c’est que nous ayons collectivement une réflexion sur l’impact et l’espace immense que le textile occupe dans nos vies. 

 

double trame

"In French, the word “trame” has a dual meaning: it is both the weft stretched across a loom and the background onto which a narrative unfolds. double trame weaves the intersections of these two meanings and of the value we grant - both as individuals and as a society - to this material that we wrap ourselves in everyday, but whose processes are often obscured."

-Lou-Anne Bourdeau, curator

 

 

Can you explain the difference between knitting and weaving?

What materials are the clothing you’re wearing made of?

What products give them their colour?

Who made them?

How many times will you wear them?

What will you do with them once they are worn out, don’t fit you anymore 

or when they become out of fashion?

 

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Textile envelops us from our birth and until our death. If you are in the gallery reading this text, you are most probably wearing some clothing – if not, be prepared to be escorted outside! Meanwhile, few of us are fully aware of the impact that our clothing has on a global scale. In Canada, there is approximately 1,415,250,000 kgs of textile waste produced annually, averaging 37 kgs of clothing per citizen. Still in Canada, textile represents 7% of all plastic sent to landfills. It constitutes, per volume, the third category of plastic waste after packaging and the automobile industry. Following conservative estimates, the giant of fast-fashion, Shein, presents around 2,000 new models… each day. These numbers only represent some statistics in a sea of overwhelming facts. From the impacts of monoculture to the exploitation of children and the links between self-esteem and the dictates of fashion, the notion of textile expands throughout multiple spheres. Despite a constant re-actualization through fashion and trends, textiles seems distant, opaque – as much as a field and an economy. However, not even a century ago (maybe even less), knitting, weaving and all techniques in between were common knowledge…

 

I consider the artistic expression through textile from the four artists in this exhibition not so much as craft, but as “anarchisanat”. Alisa Arsenault (NB), Mandy Malazdrewich (MB), Rosemarie Péloquin (MB) and Tara K. Wells (NB), each in their own way, question our perceptions and our habits to engage in a reflection on the place of textiles in our life. Craft, understood as the intelligence of the hand or a profession, is easily understood; anarchy might not be. Contrary to popular belief, anarchy doesn’t mean social chaos and total absence of common rules – which is actually called anomie – but rather a conception of direct democracy without hierarchical power. It is the disparition of the exploitative economy and of the notion of the 1% in favour of the sharing of power and goods with everyone, an order without power, where humans cannot exploit others for personal profit. Trust, autonomy and personal responsibility – one’s liberty ends where the other’s starts – are part of the values at the heart of anarchy. If many anarchist currents coexist, let us note that class struggles, feminism and ecology are all a part of this stream as other intrinsic elements in the reflection between textile and its economy. 

 

In the reuse of fabric strips from her quilt work, Tara K. Wells evoques accumulation and sedimentation, but also impermanence and the potentiality present within every material. Through this gesture of retrieval, she gives value back to pieces of fabric that could be considered unusable: each remnant is recut and then stacked following a specific order to create these stratifications, reminiscent of a landscape. The time and care given to each piece of fabric – which might be reused to become a part of another quilt later on – interrogates our own relationship to consumption and to what is considered “waste” versus what is a material that could have a second (and third, and fourth…) life. 

 

Mandy Malazdrewich’s approach is also interested in cycles when it comes to the plants that surround her garden and neighbourhood – plants that surround us on Treaty 1 territory – that she uses as material for the creation of plant-based prints such as Intus foris, which could be translated as “inside and beyond”. Relating to the land and seasonal cycles, her work proposes self-sufficiency of the resources available on the land where we live, an awareness that leads us to go back to an intimate knowledge of materials and modes of production, to understand that what we wear and consume has a social, political and ecological footprint. Through her work of eco-printing, Malazdrewich invites us to lay a fresh eye on our surroundings to see all the resources available around us, even when we don’t always realize it.

 

The idea of cycle also applies to the felted hands of Rosemarie Péloquin, by addressing the notions of generations and tradition. Between childhood and old age, what does it mean to pass down knowledge? Simultaneously distant and near, these two timescales coexist in gestures skillfully formed by Péloquin. From string games – coming from a time before screens – to knitting and tapestry that, even after seeing a recent revival keep an aura of yesteryear, are pieces of knowledge that have been passed down from generations, but that are most likely to disappear. Installed in a domestic setting, these hands shine light on the growing distance between knowledge of techniques that used to be part of the general domestic skills passed down from generations, but that today would fall more into categories of a craft or a hobby than of fundamental knowledge. 

 

Alisa Arsenault’s Memorandum resonates with Péloquin’s work in how time and heritage are also addressed in her work. Textile, more precisely clothing, has this characteristic of being intimately personal: the skin being in direct contact, the wear and tear is shaped by the body wearing it. Clothing, and by extension memory, is activated by the senses, especially touch and smell. In parallel to this, in the series Laine (Wool), she explores the notion of self-representation through ambiguity, disguise and unveiling. Arsenault addresses the distance and the divide between how we imagine ourselves and how we actually look. The minimalist image, amplified as much by the eccentric headdresses than by the slowness of the gestures, brings us to realize that clothing is only a fabricated image that we choose to wear. To paraphrase Celine Dion, “on ne change pas, on met juste les costumes d’autres sur soi” (we do not change, we only put others’ costumes on).

 

The care that these artists bring to their materials, to the land that provided them, to the heritage that is being transmitted and to the sensations our bodies feel when wearing these garments shows humility and constant reflection, but also a refined and joyful intellect, playful even. Nothing is pessimistic or anxiety-inducing; it is first and foremost an invitation, a call to action. Every gesture matters: by questioning the lifetime of our clothing and finding ways to care for them; to darn a sock instead of throwing it out. My wish is for us to have a collective reflection on the impact and on the tremendous place textile has in our lives.